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Le 30 e anniversaire de ma Thèse

27/06/2025 | Le 30 e anniversaire de ma Thèse

 
Voici un post que j'ai publié sur mon profil Facebook en 2022 pour cet anniversaire. Le selfie de ce matin, jeudi 27 juin 2025, est fait, comme le plus souvent, aux Galeries Lafayette, Nice Masséna.  
 
Lundi, 27 juin 1995.
Autour des dates qui ont marqué un événement crucial dans notre vie, notre mémoire nous offre un coffret-cadeau contenant le meilleur et le pire, pas forcément dans l'ordre chronologique, mais plutôt sous la forme d'un puzzle spécial. Chaque fois, le tableau que nous reconstituons est un peu différent, car avec le recul, nous le regardons sous un autre angle. Exactement comme dans l'art du recadrage. Watzlawick résume cela bien: "la transformation porte sur ce qui arrive, et non sur son pourquoi". Je suis entièrement d'accord, puisque je n'ai jamais été une fanatique de Freud.
Le 27 juin, c’est le jour anniversaire de ma belle Thèse, "La Rhétorique de la Passion dans le roman médiéval", qui a été beaucoup plus qu'une simple Thèse. Elle a joué un rôle de rempart pour moi en France, me permettant de résister et de garder intactes l'estime de soi, la force, la persévérance. Je le marque chaque année, à ma manière, en publiant quelque chose sur mes espaces (blogs, page Facebook), et aussi en faisant le geste rituel qui consiste à descendre l'exemplaire de son étagère et à l'ouvrir au hasard. A la fin, je m’arrête sur l'énigmatique page 283 (énigmatique dans le sens de prophétique pour moi), où j'aborde le sujet du choix, de la volonté et du processus de délibération, et c'est reparti pour la réflexion (et pour un nouveau recadrage…)
Le 27 Juin 1995, à 14h30, je défendais, pleine de conviction et d'espoir, une vision personnelle du roman, du récit, du parcours du héros, de la construction et de l'identité du Sujet. Ma Thèse de 450 pages (je l'avais tapée toute seule) se trouvait à la croisée des chemins de plusieurs disciplines: la littérature médiévale en langue vulgaire (le roman, principalement), la philosophie et la spiritualité, lues à la lumière des développements récents des sciences modernes (linguistique, sémiotique, psychanalyse). Le jury a apprécié mon point de vue comme étant "peu habituel et enrichissant pour examiner la littérature et la pensée des XIIe et XIIIe siècles", et m'a accordé la mention Très honorable à la majorité. Pour la soutenance (à la Faculté des lettres, salle 133, de 14h30 à 18h30), j'avais mis une blouse roumaine blanche, brodée au fil de soie blanc, et une jupe légère, noire à pois blancs. La blouse, c'est mon père qui me l'avait offerte et me l'avait envoyée de Roumanie pour cet événement, il était très ému et très fier de moi. J'obtenais donc mon Diplôme de Docteur de l'Université de Nice au bout de seulement trois ans, ce qui s'expliquait par le fait que je n'avais plus 25 ans et que j'avais déjà l'expérience de la recherche. Je disais, amusée, que j'étais Docteur en Amour, au sens le plus large. Et c'est justement l'Amour, au sens le plus large (sur lequel je m'étais penchée avec mon sérieux et ma réflexion), qui allait me protéger, m'inspirer, me guider, me soutenir. (Je rappelle que l’identité entre connaissance et amour, l’une étant la condition de l’autre, est une idée très chère au Moyen Âge).
Un travail authentique, jugé original et moderne, réalisé avec les moyens laborieux de la recherche classique : beaucoup d’ouvrages, de notes, de documentation, de lectures, de réflexion. Internet venait à peine de faire son entrée en France, Google n’existait pratiquement pas. J’ai aussi tapé seule mes 450 pages, y compris la numérotation, les notes, l’index, sur un MacIntosh prêté, en m’auto-formant. L’Université de Nice m’a aidée pour l’impression du nombre d’exemplaires à remettre aux membres du Jury, et pour le pot de soutenance (le champagne..). Au milieu des années ’90, il y avait très peu de Roumains ici, et leur image était encore bonne. C’est une époque lointaine, mais je ressens une certaine tendresse à m'en souvenir, malgré mon chemin escarpé. J’avais adapté quelques pages de ma Thèse pour un numéro de la revue Trames, « "La psychanalyse face au cancer", et je relis toujours avec la même émotion la présentation que Sanda Geblesco avait faite de moi : "Carmen, c’est la passion qui fait aimer ou haïr au-delà de la crainte, le refus des compromissions. C’est l’Orient venu à la rencontre de l’Occident, au risque de n’être plus comprise ni par l’un, ni par l’autre… C’est ce regard neuf qu’elle s’autorise à poser sur les concepts, sur les modes intellectuelles, c’est ce pouvoir de création non asservi par les stéréotypes de l’habitude au risque de choquer et de déranger. C’est lui qui lui a permis l’avancée théorique qu’elle présente ici avec ce « résumé » (résume-t-on une Thèse, au sens plein du mot ?) qu’elle a bien voulu écrire pour Trames et dont nous la remercions."
Une fois par an, avant cette date anniversaire, je monte à Magnan, à la Faculté des lettres de l'Université de Nice (actuellement l'Université Côte d'Azur). Je revois la Bibliothèque où j'ai travaillé comme doctorante, le Campus Carlone avec ses résidences et son restaurant. En 2020, la Faculté était fermée à cause du confinement, mais l’année dernière les locaux étaient ouverts, et, après m'être enregistrée à l'Accueil, j'ai pu retrouver des lieux qui m'étaient familiers (la Salle du Conseil - la soutenance de quatre heures- et la Salle des Professeurs - le pot de la fin). J'ai pris quelques photos et j’ai écrit sur mon blog elargissement-ro…une note qui envoie au texte écrit en 2020, pour le quart de siècle de ma Thèse. Heureusement, mon blog, qui est un témoignage, possède des Archives qui m'aident à rechercher dans les souvenirs et les réflexions des années précédentes. J’externalise ainsi ma mémoire selon le principe qu'un psychologue de Harvard appelle "transactive memory". Sauf que ce n'est pas exactement comme lorsque vous consultez un moteur de recherche, car un voyage dans votre propre passé n'est jamais neutre, de point de vue émotionnel. En tout cas, heureusement ou non, l’identité du Sujet est bien plus qu’une identité nationale.

17:37 Publié dans 2025 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anniversaire thèse